jeudi 4 juin 2015

Sympathy for the devil

J'avais besoin d'une excuse pour vous envoyer lire les trois tomes de L'Empire brisé, alors on va parler des anti-héros meurtriers pour lesquels on ne peut s'empêcher d'éprouver de la sympathie.


L'Empire brisé donc, une trilogie écrite par Mark Lawrence, parue entre 2011 et 2013 chez HarperCollins pour la VO, publié chez Bragelonne pour la version Française. Je ne sais pas ce que vaut cette dernière mais la VO est excellente. Par contre je crois que les libraires ont pas très bien compris à quoi ils avaient affaire car j'ai trouvé le premier volume dans la section jeune adulte/ado. Le quatrième de couverture a dû les tromper:

A treize ans il est le chef d'une bande de hors-la-loi sanguinaires.
Il a décidé qu'à quinze ans, il serait roi.
L'heure est venue pour le prince Jorg Ancrath de regagner le château
qu'il avait quitté sans un regard en arrière, et de s'emparer de ce
qui lui revient de droit. Depuis le jour où il fut contraint d'assister au
massacre de sa mère et de son frère, il avance porté par sa fureur.
Il n'a plus rien à perdre.
Mais, de retour à la cour de son père, c'est la traîtrise qui l'accueille.
La traîtrise et la magie noire. Or le jeune Jorg ne craint ni les vivants
ni les morts. Animé d'une volonté farouche, il va affronter des ennemis
dont il n'imagine même pas les pouvoirs.
Car tous ceux qui ont pris l'épée doivent périr par l'épée.

Ne vous laissez pas avoir. Jorg n'est pas un héros de roman pour ado. C'est un jeune homme psychotique et sanguinaire qui commence son histoire par le pillage d'un village, le meurtre de ses habitants et le viol de ses femmes. Après les quelques pages nécessaires à cette découverte, j'ai reposé le livre pendant un an en me demandant ce que j'avais acheté. Heureusement, j'ai fini par reprendre le livre et poussé jusqu'au chapitre deux.

Je vous vends rapidement le livre et ensuite on parlera de JDR. La trilogie de l'Empire Brisé contient tout ce que mon petit coeur de lectrice fatiguée de la fantasy basique pouvait souhaiter. Lawrence prend plein d'éléments qu'on a déjà vus ailleurs, mais il les combine de façon nouvelle et y mêle une ambiance qu'on s'attendrait plutôt à trouver dans un livre d'horreur post-apocalyptique. J'ai eu une guerre, j'ai eu de l'aventure, j'ai une intrigue politique, j'ai eu une présence mystérieuse qui fait régner le mal et la mort, et puis des morts, plus de morts et encore quelques morts et certains d'entre eux se sont relevés de leur tombe à un moment ou à un autre dans l'histoire. L'ambiance est sombre, le narrateur (Jorg) cynique au possible, les thèmes abordés sont très adultes, le décor contient des touches discrètes de post-appo qui venaient pimenter le med-fan de façon délicieuse. Et puis un personnage principal complexe et sombre, anti-héro à la fois détestable et charismatique pour qui mon coeur a saigné alors même qu'il se conduisait comme un connard fini. La narration à la première personne ne sera pas au goût de tout le monde, mais (dans la VO en tout cas) l'auteur a donné une vraie voix à son narrateur, un vocabulaire typé, une façon de s'exprimer qui renforce le cynisme et le mépris de l'humain moyen qui fait beaucoup pour immerger le lecteur dans l'histoire. Vous aurez droit à une intrigue bien ficelée et un rythme soutenu qui donne l'impression que les livres sont beaucoup plus minces qu'ils ne le sont en réalité. Allez regarder pour vous même, vous ne serez pas déçus.

D'un point de vue rôlistique, il y a plein d'éléments qui valent la peine d'être volés dans les trois livres que je viens d'évoquer. Mais ce qui m'intéresse le plus c'est la possibilité de prendre des sociopathes abjectes et de créer un lien d'empathie entre le lecteur (ou le joueur dans notre cas) et eux. À mon sens, c'est principalement une histoire de timing.

Voici donc la recette du tueur sociopathe sympathique en quatre étapes:

Lawrence commence par nous présenter son héros dans ce qu'il y de pire. Si vous voulez un tueur sociopathe sympathique plutôt qu'un héros qui a fait de mauvais choix de vie, il faut commencer par le présenter à vos joueurs comme un connard. Et pas une victime du système, un vrai connard, quelqu'un qui assume sa méchanceté et se délecte de la souffrance d'autrui. Ça n'a pas besoin d'être de grandes souffrances, quelqu'un qui se réjouit des petits malheurs des autres c'est déjà quelqu'un d'antipathique pour la plupart d'entre nous. Selon les besoins de votre partie, vous pouvez doser entre le gars qui donne des coups de pied aux chiens et la femme qui distribue de la glace à la mort aux rats à la sortie des d'écoles.

Dans un deuxième temps, et pour éviter l'effet Joker, l'auteur nous donne une méthode derrière la destruction provoquée par le personnage principal. Sans forcément expliquer pourquoi le perso fait ce qu'il fait, il s'agit de montrer au lecteur/joueur que le personnage n'est pas non plus complètement barré. Il y a un objectif à remplir, le personnage s'en charge juste de façon un peu plus extrême que la plupart des mortels.

Pour la troisième partie, la littérature a un avantage injuste. C'est maintenant que le pourquoi entre en jeu. Pas n'importe quel pourquoi, il faut que quelque chose de traumatisant et (pour une double dose d'empathie) de non-mérité ait frappé votre anti-héro. Dans Le Prince écorché, Lawrence fait une utilisation judicieuse du flashback (et de l'évènement traumatisant en question qui est vraiment horrible, mais en même temps très crédible). On est vraiment plongé dans les émotions de Jorg et on en ressort aussi convaincu que lui de son droit à commettre des exactions. À une table de JDR, particulièrement si votre tueur sociopathe sympathique est un PNJ, ça va être beaucoup plus difficile. La solution ultime à laquelle même toutes les autres c'est que quelqu'un (le PNJ en question ou quelqu'un d'autre) raconte ce qui est arrivé au PNJ pour le rendre comme il est. Le truc, c'est que vous ne pouvez pas juste montrer son humanité en le faisant soudain adopter des chatons, ça ne ferait que discréditer votre personnage. Il faut qu'il reste aussi froid et insensible que lorsque vous le faisiez passer pour un tueur sanguinaire, la seule différence c'est que vos joueurs connaissent à présent ses motivations. À la limite le personnage peut décider de sauver un autre personnage d'un sort similaire au sien (en s'y prenant comme un forcené c'est mieux, on parle d'un PNJ qui n'a plus le sens de la mesure donc il ne faut pas juste qu'il empêche un bébé de se faire voler ses jouets, il faut qu'il kidnappe ce bébé, le transforme en arme humaine et l'envoie tuer les enfants qui lui auraient volé ses jouets, le tout en proclamant qu'il le fait pour son amusement personnel et la propagation du chaos dans le monde).

Si vous avez du temps et que vos joueurs s'investissent dans votre tueur sociopathe sympathique, la quatrième étape consiste en un arc narratif de la rédemption. Sans aller jusqu'à "guérir" complètement votre anti-héro, peut-être pourrait-il réapprendre à faire confiance à quelques personnes triées sur le volet (vos joueurs par exemple) envers qui il se comportera comme une personne décente. Avant cela il faudra bien sûr qu'il remplisse son objectif destructeur ou obtienne justice d'une façon jugée satisfaisante.

Quoi qu'il arrive, il faut que votre tueur sociopathe sympathique reste fidèle à lui-même donc vous ne pourrez pas complètement en faire quelqu'un de bien. Et puis il faudra faire tout ça en évitant le syndrome du %&§+ de PNJ trop cool. Donc à petites touches sur une probablement assez longue durée. Si quelqu'un a des exemples d'utilisation d'un PNJ de ce genre, je prends.

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